EN BREF : par un jugement n° 1619463, 1620386, 1620420, 1620619, 1622047/4-2 du 21 février 2018, le Tribunal administratif de Paris annule la délibération du 26 septembre 2016 du Conseil de Paris déclarant l’intérêt général de l’opération d’aménagement des berges de la rive droite de la Seine et l’arrêté du 18 octobre 2016 de la maire de Paris créant une promenade publique sur l’emplacement de la voie Georges Pompidou. Maître ICARD, avocat au Barreau du Val de Marne, vous livre son commentaire juridique sur cette décision très pédagogique qui renvoie à des fondamentaux jurisprudentiels anciens et très connus des étudiants en droit en matière de restriction de circulation dans une agglomération par le maire. On peut-dire, pour faire court, pour ceux qui n’auront pas le temps ou l’envie de lire ma chronique, que le tribunal administratif de Paris a jugé que la fermeture à la circulation des voies sur les berges de la rive droite de la Seine à Paris ne devait être ni générale ni absolue, et être strictement limitée dans le temps. Le tribunal administratif de Paris a également jugé que la circulation sur voies sur les berges de la rive droite de la Seine à Paris n’était pas en l’état du dossier de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l’air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques.

En effet, aux termes de l’article L.2213-2  du code général des collectivités territoriales : « Le maire peut, par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l’environnement : / 1° Interdire à certaines heures l’accès de certaines voies de l’agglomération ou de certaines portions de voie ou réserver cet accès, à certaines heures, à diverses catégories d’usagers ou de véhicules ».

En l’espèce, il ressort des termes mêmes de l’arrêté de la Maire de Paris attaqué que celui-ci se fonde sur les dispositions de l’article L.2213-2 du code général des collectivités territoriales, ainsi que le confirmaient d’ailleurs les premières écritures en défense de la ville de Paris.

L’arrêté du 18 octobre 2016, qui ne décide pas la fermeture de la voie Georges Pompidou à la circulation automobile à certaines heures, mais y interdit l’accès aux véhicules, sauf quelques exceptions relatives pour l’essentiel aux véhicules d’intérêt général prioritaires ou de service public, pour créer une aire piétonne, ne peut trouver sa base légale dans ces dispositions.

En l’espèce, le Tribunal administratif de Paris a jugé qu’en fondant son arrêté sur les dispositions de l’article L.2213-2 du code général des collectivités territoriales, la maire de Paris a privé sa décision de base légale.

Mais la décision attaquée, prise sur le fondement de l’article L.2213-2 de ce code n’aurait pu être prise sur le fondement de l’article L. 2213-4 dudit code en vertu du même pouvoir d’appréciation.

Si l’arrêté attaqué est notamment motivé par le fait que « la ville de Paris encourage l’utilisation de modes de déplacement actifs, dans une perspective de réduction des émissions de polluants atmosphériques et d’amélioration de la santé publique » et que « les rives de Seine constituent un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1991 et que la réduction de la circulation automobile associée au développement des activités N°1619463 16 piétonnes est de nature à valoriser ce patrimoine », il ne repose pas ainsi sur un motif tiré de ce que la circulation automobile sur la voie Georges Pompidou serait de nature à compromettre la qualité de l’air ou la protection et la mise en valeur du site.

1 – Le tribunal administratif de Paris a jugé que la fermeture à la circulation des voies sur les berges de la rive droite de la Seine à Paris ne devait être ni générale ni absolue, et être strictement limitée dans le temps.

En effet, s’agissant de l’interdiction de circulation sur certaines voies de l’agglomération, l’article L.2213-2-1º prévoit que le maire peut y recourir à certaines heures, pour diverses catégories de véhicules, lorsque les conditions de circulation ou la protection de l’environnement le nécessitent.

Le maire devra en tout état de cause motiver son arrêté par des faits matériellement exacts comme l’atteinte à la tranquillité publique, la sécurité, la commodité du passage sur la voie publique.

Voir en ce sens : Conseil d’Etat, 5 / 3 SSR, du 27 septembre 1991, 71447, inédit au recueil Lebon

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la traversée de la commune de La Bouille par des camions-benne de plus de 5 tonnes comporte des risques certains pour la sécurité des usagers de la voie publique et des nuisances graves pour les habitants de la commune, eu égard à la configuration des lieux et à l’intensité de ce trafic ; que ces risques et ces nuisances sont particulièrement ressentis entre 12 h et 14 h, période pendant laquelle les habitants de la commune, sont appelés à accroître leurs déplacements ; qu’ainsi, en interdisant toute circulation des poids-lourds de plus de 5 tonnes entre 12 h et 14 h du lundi au vendredi afin de garantir la tranquillité publique et la sécurité et la commodité du passage sur la voie publique, le maire de La Bouille a pris, dans le cadre des pouvoirs de police que lui confèrent les articles L.131-1 à L.131-4 du code des communes, une mesure qui n’est pas motivée par des faits matériellement inexacts ; Considérant que la mesure d’interdiction édictée par l’arrêté attaqué, qui n’est ni absolue ni générale, est strictement limitée dans le temps et autorise la circulation des véhicules en cause onze heures par jour, compte tenu des interdictions de circuler la nuit édictées antérieurement ; que la restriction ainsi apportée à la liberté de circulation ne présente pas un caractère excessif pour les sociétés de transport et de carrières requérantes, dès lors que celles-ci peuvent, pendant la durée de l’interdiction, contourner la commune de La Bouille par un autre itinéraire, au prix d’un allongement raisonnable de la distance ; qu’ainsi le moyen tiré de ce qu’il y aurait une disproportion entre les mesures mises en œuvre et les inconvénients qu’elles visent à éviter ne saurait être accueilli ; »

En outre, l’interdiction de circulation de certaines catégories de poids lourds – en ce qu’elle porte atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté de circuler – ne doit être, selon la jurisprudence administrative, ni générale ni absolue, et être strictement limitée dans le temps.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat a estimé, dans un arrêt du 5 novembre 1980 de la Fédération nationale des transports routiers et autres (FNTRA), qu’un arrêté interdisant la circulation de poids lourds sur une route traversant une agglomération n’était pas illégal dès lors que cet acte prévoyait des exceptions à cette interdiction pour certaines catégories de transports et des itinéraires de délestage.

Conseil d’Etat, 4 / 1 SSR, du 5 novembre 1980, 10148, mentionné aux tables du recueil Lebon

« Maires ayant pris des arrêtés interdisant la circulation sur la route nationale traversant leurs villes aux transports routiers de marchandises d’un poids total en charge supérieur à 6 tonnes, mais prévoyant des exceptions permettant la desserte locale à ceux de ces véhicules dont les origines ou destinations sont limitées à ces agglomérations et instituant des itinéraires autorisés pour traverser les villes pour ceux qui devraient emprunter certains axes de circulation transversaux. Interdiction ni générale, ni absolue qui ne porte atteinte ni à la liberté du commerce et de l’industrie, ni à la liberté de circulation. Mesures justifiées par le souci d’assurer, à l’intérieur des agglomérations, la tranquillité publique et la sécurité de passage sur les voies publiques et ne présentant pas un caractère excessif pour les transporteurs concernés, dès lors que ceux-ci peuvent aisément contourner ces agglomérations par une déviation autoroutière, malgré l’obligation d’y acquitter un péage. Absence d’atteinte à l’égalité devant la loi ou devant les charges publiques. »

Il revient en tout état de cause au juge administratif d’examiner si les circonstances de l’espèce justifient l’arrêté, en particulier si l’amplitude horaire d’interdiction de circuler ne porte pas une atteinte trop grande à la liberté du commerce et de l’industrie.

En l’espèce, le Tribunal administratif de Paris a jugé qu’en fondant son arrêté sur les dispositions de l’article L.2213-2 du code général des collectivités territoriales, la maire de Paris a privé sa décision de base légale.

2 – Le tribunal administratif de Paris a également jugé que la circulation sur voies sur les berges de la rive droite de la Seine à Paris n’était pas en l’état du dossier de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l’air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques.

Lorsqu’il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d’appréciation, sur le fondement d’un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l’excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l’intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

Le Tribunal administratif de Paris a estimé que pour exercer le pouvoir qu’il tient de l’article L.2213-2 du code général des collectivités territoriales, il appartient au maire d’apprécier les nécessités de la circulation et de l’environnement.

Pour exercer le pouvoir qu’il tient de l’article L. 2213-4 du même code, il lui appartient de d’apprécier si la circulation sur les voies considérées est de nature à compromettre soit la tranquillité publique, soit la qualité de l’air, soit la protection des espèces animales ou végétales, soit la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites ou leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques.

Analysant une possible substitution de base légale, le Tribunal administratif de Paris considère que la décision attaquée, prise sur le fondement de l’article L.2213-2 de ce code n’aurait pu être prise sur le fondement de l’article L. 2213-4 dudit code en vertu du même pouvoir d’appréciation.

Au surplus, si l’arrêté attaqué est notamment motivé par le fait que « la ville de Paris encourage l’utilisation de modes de déplacement actifs, dans une perspective de réduction des émissions de polluants atmosphériques et d’amélioration de la santé publique » et que « les rives de Seine constituent un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1991 et que la réduction de la circulation automobile associée au développement des activités N°1619463 16 piétonnes est de nature à valoriser ce patrimoine », il ne repose pas ainsi sur un motif tiré de ce que la circulation automobile sur la voie Georges Pompidou serait de nature à compromettre la qualité de l’air ou la protection et la mise en valeur du site.

Ainsi, aucune substitution de base légale ne peut être effectuée par le juge administratif.

SOURCE : Tribunal administratif de Paris, 21 février 2018, n°1619463, 1620386, 1620420, 1620619, 1622047/4-2

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