Comment un fonctionnaire peut-il prouver qu’il est victime de discrimination ?

Je rencontre trop fréquemment dans mon exercice professionnel d’avocat de nombreux cas de discriminations par rapport au sexe, à l’orientation sexuelle, au handicap, à l’âge, à la race, à l’origine ethnique, à la couleur et l’appartenance à une minorité nationale, a la nationalité ou l’origine nationale à la religion ou aux convictions,  à la langue, à l’origine sociale, à la naissance et la fortune, aux opinions politiques ou autres, à l’appartenance syndicale …… Malheureusement, les personnes qui en sont victimes ont beaucoup de mal à prouver la discrimination. S’agissant des agents publics, et dans un premier temps, l’agent requérant doit faire naître à partir d’éléments suffisamment crédibles une présomption de discrimination (il n’a donc pas à prouver qu’il (elle) victime d’une discrimination). S’il y parvient, et seulement s’il y parvient, ce sera à l’administration de démontrer,  dans un deuxième temps, que sa décision repose sur des éléments étrangers à toute discrimination.

Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction.

Lorsqu’il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination, le juge doit tenir compte des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s’attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l’égalité de traitement des personnes.

Il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, et au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il en va également ainsi lorsque la décision contestée devant le juge administratif a été prise par une instance indépendante de l’administration qui défend.

La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

Par exemple, une requérante âgée de 62 ans produisant des éléments précis et concordants donnant à penser que la direction du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) avait décidé, entre l’admissibilité et l’admission au concours pour l’accès à un grade de directeur de recherche, pour lequel aucune condition d’âge n’est fixée, de ne pas promouvoir les personnes de plus de 58 ans et de revoir à cette aune le classement de l’intéressée à la suite de l’admissibilité. Mesure d’instruction du Conseil d’Etat n’ayant donné lieu à la production par le CNRS d’aucun élément permettant d’établir que seuls les capacités, aptitudes et mérites respectifs des candidats auraient été pris en compte au stade de l’admission. Le refus d’admission de la requérante doit donc être regardée comme reposant sur des critères entachés de discrimination.

Voir en ce sens : Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 07/07/2010, 322636

Dans un autre arrêt en date du 16 octobre 2017, le Conseil d’Etat a précisé que des données statistiques pouvaient constituer des éléments de faits susceptibles de faire présumer une discrimination.

Voir en ce sens : Conseil d’État, 4ème – 5ème chambres réunies, 16/10/2017, 383459

La Cour de cassation a quant à elle estimé, dans une affaire de contrôle d’identité sur la voie publique par les forces de l’ordre, que l’invocation de statistiques ne constituait pas à elle seule une preuve suffisante de discrimination.

Voir en ce sens : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 novembre 2016, 15-24.210, Publié au bulletin

C’est dans son arrêt d’Assemblée du 30 octobre 2009, que le Conseil d’Etat a précisé le régime « prétorien » de la preuve en matière de discrimination, en rappelant qu’il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction.

Cette responsabilité doit, dès lors qu’il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination, s’exercer en tenant compte des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s’attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l’égalité de traitement des personnes.

S’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

A l’appui de ses allégations, Mme A se fonde sur des éléments de fait, tenant tant à la qualité de sa candidature qu’à des procédures antérieures de recrutement à la fonction de chargé de formation pour l’application des peines à l’Ecole nationale de la magistrature, pour soutenir que cette candidature aurait été écartée en raison de ses responsabilités syndicales connues de l’administration.

Ces éléments de fait sont corroborés par une délibération en date du 15 septembre 2008 de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, que cette dernière a entendu verser au dossier de la procédure en application de l’article 13 de la loi du 30 décembre 2004.

Si ces éléments peuvent ainsi faire présumer l’existence d’une telle discrimination, il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments de comparaison produits en défense par le garde des sceaux, ministre de la justice que la décision de nommer Mme B plutôt que Mme A au poste de chargé de formation à l’Ecole nationale de la magistrature repose sur des motifs tenant aux capacités, aptitudes et mérites respectifs des candidates.

La préférence accordée à la candidature de Mme B procédait en effet d’une analyse comparée des évaluations professionnelles des deux magistrates et des appréciations que comportait l’avis motivé en date du 10 avril 2006 établi, conformément à l’article 12 du décret du 21 décembre 1999 régissant les emplois de l’Ecole nationale de la magistrature, en vigueur à la date de la décision attaquée, par la commission de recrutement mise en place par l’école.

Elle était également en correspondance avec les critères fixés préalablement dans la description du poste publiée par l’école, tenant au fonctionnement et aux caractéristiques de l’équipe pédagogique, ainsi qu’aux capacités linguistiques requises par ses missions internationales.

Dans ces conditions, ce choix, même s’il n’était pas celui du directeur de l’école, dont l’avis était prescrit par l’article 10 du même décret, doit être regardé comme ne reposant pas sur des motifs entachés de discrimination.

SOURCE : Conseil d’État, Assemblée, 30/10/2009, 298348, Publié au recueil Lebon

JURISPRUDENCE :

CEDH 6 janvier 2005, n° 58641/00, Hoogendijk c/ Pays-Bas

PRATIQUE :

Manuel de droit européen en matière de non-discrimination (sur demande)

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