Un agent public victime d’une décision illégale, de l’inaction ou d’une promesse non tenue de l’administration peut-il obtenir une indemnisation ?

OUI : mais pour que la responsabilité de l’administration soit engagée, elle doit résulter de la faute commise par l’administration, entraîner un préjudice direct et certain et ne pas résulter des fautes ou des insuffisances de l’agent. L’illégalité externe (vice de procédure…) d’une décision constatée par le juge administratif n’est pas de nature à ouvrir un droit à réparation en l’absence de lien direct entre les conséquences dommageables de l’éviction et la faute commise par l’administration.


Toute faute commise par l’administration employeur à l’égard de l’un de ses agents est de nature à engager sa responsabilité pour faute à l’égard de celui-ci.

1-      L’indemnisation de l’agent est possible en cas d’annulation par le juge administratif de l’excès de pouvoir d’une décision de l’administration pour illégalité interne. (Erreur de droit, manifeste d’appréciation …)

Ainsi, l’illégalité interne d’une décision constatée par le juge administratif qui est toujours fautive engage la responsabilité de l’administration à raison de ses conséquences pour l’agent public.

Voir en ce sens l’arrêt de principe : Conseil d’Etat, Section, du 26 janvier 1973, 84768, publié au recueil Lebon (Ville de Paris c/ Driancourt)

« (…) L’illégalité de la décision par laquelle le préfet de police a enjoint au propriétaire d’un bar de mettre fin à l ‘exploitation d’appareils à jeux installés dans son établissement constitue, à supposer même qu’elle ne soit imputable qu’a une simple erreur d’appréciation, une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. ( …) »

Conseil d’Etat, Section, du 26 janvier 1973, 84768, publié au recueil Lebon

« L’illégalité de la décision par laquelle le préfet de police a enjoint au propriétaire d’un bar de mettre fin à l’exploitation d’appareils a jeux installés dans son établissement constitue, à supposer même qu’elle ne soit imputable qu’à une simple erreur d’appréciation, une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. »

Mais pour que la responsabilité de l’administration soit engagée, elle doit résulter de la faute commise par l’administration, entraîner un préjudice direct et certain et ne pas résulter des fautes ou des insuffisances de l’agent.

Voir Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 30/01/2013, 339918, Publié au recueil Lebon

« (…) En principe, toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain. La responsabilité de l’administration ne saurait être engagée pour la réparation des dommages qui ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s’est elle-même placée, indépendamment des faits commis par la puissance publique, et à laquelle l’administration aurait pu légalement mettre fin à tout moment. En l’espèce, une cour commet une erreur de droit en refusant tout droit à indemnisation à un requérant dont le cheptel de sangliers qu’il élevait sans autorisation avait été abattu sans distinguer entre les préjudices dont l’intéressé demandait réparation, alors qu’au nombre de ces préjudices figurait celui correspondant à la destruction totale de son cheptel et qu’elle avait jugé que cette destruction n’était pas justifiée. (…) » 

2-      L’indemnisation de l’agent n’est pas possible en cas d’annulation par juge administratif de l’excès de pouvoir d’une décision de l’administration pour illégalité externe (vice de procédure, défaut de motivation, incompétence de l’auteur de l’acte …).

L’illégalité externe d’une décision constatée par le juge administratif n’est pas de nature à ouvrir un droit à réparation en l’absence de lien direct entre les conséquences dommageables de l’éviction et la faute commise par l’administration.

Conseil d’Etat, 4 / 1 SSR, du 18 juin 1986, 49813, publié au recueil Lebon

« (…) Si le directeur du centre hospitalier de M. a entaché sa décision d’un vice de procédure en omettant de mettre Mme K. en mesure de faire valoir ses observations en défense, préalablement à son licenciement, l’insuffisance des capacités professionnelles de l’intéressée justifie la mesure qui a été prise. Par suite, l’illégalité dont la décision du directeur du centre hospitalier est entachée n’est pas de nature à ouvrir à Mme K. un droit à indemnité. Requérante ayant saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de M. à lui verser une indemnité en réparation du préjudice que lui a causé son licenciement. Par un jugement du 26 juin 1980, le tribunal administratif a rejeté cette demande au fond. Par une décision du 22 juin 1984 le Conseil d’Etat statuant au contentieux a rejeté l’appel formé par l’intéressée contre ce jugement sans examiner le bien-fondé de ses prétentions par le motif que, faute d’avoir été dirigée contre une décision préalable du centre hospitalier, la demande présentée devant le tribunal administratif était irrecevable. Le motif ainsi retenu par le juge d’appel s’est rétroactivement substitué à celui qu’avaient retenu les premiers juges. Par suite l’exception de chose jugée ne peut plus être légalement opposée à la nouvelle demande présentée par la requérante devant le tribunal administratif de Strasbourg, dirigée contre une décision du 10 décembre 1980 du directeur du centre hospitalier rejetant sa demande d’indemnité. (…) »

3-      L’indemnisation de l’agent est possible en cas d’inaction de l’administration.

Par exemple :

a)      L’administration a laissé durant plusieurs années un fonctionnaire sans affectation.

Conseil d’Etat, 2ème et 1ère sous-sections réunies, du 23 juillet 2003, 241816, mentionné aux tables du recueil Lebon

« (…) En s’abstenant de proposer à un professeur d’université un service effectif de 1980 à 1989 alors qu’il appartenait à l’université, soit de lui proposer une activité universitaire appropriée à sa fonction et à son grade soit, si elle l’estimait inapte aux fonctions de professeur des universités, de prendre une initiative pour que soit engagée une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle, l’université a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. (…) »

Conseil d’Etat, Section du Contentieux, du 6 novembre 2002, 227147, publié au recueil Lebon

« (…)  Sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade. Méconnaît cette règle le ministre qui maintient pendant plus de onze années un fonctionnaire en activité avec traitement mais sans affectation, alors qu’il lui appartenait soit de proposer une affectation à ce fonctionnaire, soit, s’il l’estimait inapte aux fonctions correspondant à son grade, d’engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle. Le maintien pendant plus de onze années d’un fonctionnaire en activité avec traitement mais sans affectation correspondant à son grade constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Si le requérant était en droit de recevoir dans un délai raisonnable une affectation correspondant à son grade, il lui appartenait toutefois, compte tenu tant de son niveau dans la hiérarchie administrative que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d’un traitement sans exercer aucune fonction, d’entreprendre des démarches auprès de son administration. Le requérant, conseiller des affaires étrangères de 1ère classe, se bornant à produire une lettre adressée à son administration à une date à laquelle il était sans affectation depuis plus de six ans, il y a lieu d’exonérer l’Etat du tiers de sa responsabilité. (…) »

b)     L’administration a laissé un agent sans travail effectif.

Conseil d’Etat, 9 / 8 SSR, du 9 avril 1999, 155304, mentionné aux tables du recueil Lebon 

« (…) Après son éviction du poste de directeur général des hospices civils de Lyon, le requérant a été réintégré dans le cadre des personnes de direction des établissements d’hospitalisation publics et affecté sur un emploi vacant, mais aucun travail effectif ne lui a été confié. Cette situation, qui s’est prolongée durant près de quatre ans, ne répondait plus aux nécessités de la gestion normale des personnels de direction des hôpitaux et constitue une faute. Indemnisation à hauteur de 50 000 F du préjudice moral subi par l’intéressé. Un fonctionnaire, ne pouvant utilement revendiquer le bénéfice d’aucun droit à rémunération ou à indemnité autre que ceux prévus par les textes légalement applicables, et qui, par ailleurs, ne fait état d’aucun préjudice distinct de nature à lui ouvrir droit à réparation, n’est pas fondé à invoquer la promesse qui lui a été faite de lui maintenir, dans le cadre d’une mission de réflexion et de proposition qui devait lui être confiée, « des avantages financiers et en nature équivalant à ceux dont il disposait jusqu’alors » en tant que directeur général des hospices civils de Lyon, pour demander que l’Etat soit condamné à lui verser une indemnité. B) Après son éviction du poste de directeur général des hospices civils de Lyon, le requérant a été réintégré dans le cadre des personnes de direction des établissements d’hospitalisation publics et affecté sur un emploi vacant, mais aucun travail effectif ne lui a été confié. Cette situation, qui s’est prolongée durant près de quatre ans, ne répondait plus aux nécessités de la gestion normale des personnels de direction des hôpitaux et constitue une faute. Indemnisation à hauteur de 50 000 F du préjudice moral subi par l’intéressé. (…) »

c)      L’administration a suspendu un fonctionnaire pour des faits n’ayant pas le caractère d’une faute grave.

Conseil d’Etat, Section, du 24 juin 1977, 93480 93481 93482, publié au recueil Lebon

« (…) En suspendant la directrice d’un établissement d’enseignement pour des motifs qui, s’ils pouvaient révéler l’inaptitude de l’intéressée à exercer ses fonctions, ne présentaient pas le caractère d’une faute grave, le ministre de l’Education nationale a commis une illégalité constitutive d’une faute engageant la responsabilité de l’Etat à l’égard de ce fonctionnaire. (…) »

d)     L’administration n’a pas tenu sa promesse de destination d’affectation d’un agent.

Conseil d’Etat, 10/ 5 SSR, du 27 juillet 1988, 63928, publié au recueil Lebon

« (…) Se conformant à la proposition qui lui avait été faite par son chef de service au cours d’un entretien à Paris, M. O., pilote-inspecteur affecté depuis le 1er août 1980 à la direction régionale de l’aviation civile des Antilles-Guyane, a demandé, le 20 avril 1983, son affectation à la division « Avions-laboratoire » du Centre national de la formation aéronautique de Melun (Seine-et-Marne). Tout en lui indiquant que « cette décision ne saurait engager l’avenir de façon définitive », le chef de service de la formation aéronautique et du contrôle technique lui a confirmé, par télex du 10 mai 1983, son affectation à Melun à compter du 1er août 1983. Toutefois, ce même chef de service lui a fait savoir, par un télex parvenu à la Martinique le 13 juillet 1983, qu’il devait « revenir sur sa proposition » et estimait « devoir envisager (son) affectation au Centre école de Saint-Yan (Saône et Loire) » à compter du 15 septembre 1983, du fait que les perspectives d’activité du centre de Melun se révélaient moins favorables que ce qui avait été prévu. Dans les conditions où il a modifié l’affectation de M. O. à son retour en métropole, et bien que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’un droit à être affecté à Melun, le ministre de l’urbanisme, du logement et des transports a commis une faute de service de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard du requérant. Condamnation de l’Etat à verser à M. O. une indemnité de 10 000 F. (…) »

e)      L’administration n’a pas accordé la protection fonctionnelle à un agent qui y avait droit.

Le refus illégal de protection fonctionnelle engage la responsabilité de l’administration si l’agent public a subi un préjudice.

Conseil d’Etat, 6 / 2 SSR, du 17 mai 1995, 141635, inédit au recueil Lebon

« (…) Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les véhémentes prises à partie dont M. X… a été l’objet se rattachaient à son comportement dans l’exercice de ses fonctions et constituaient des attaques relevant de l’article 11 de la loi précitée ; que l’ancienneté des faits relatés dans ces attaques ne dispensait pas l’Etat de son devoir de protection par tout moyen approprié ; que le refus de protection, qui ne repose sur aucun motif d’intérêt général, est entaché d’excès de pouvoir ; que l’illégalité ainsi commise est de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ; qu’il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi de ce chef par le requérant en lui allouant une indemnité de 15 000 F y compris tous intérêts échus à la date de la présente décision ; (…) »

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