Le régime particulier d’administration de la preuve au bénéfice du fonctionnaire s’estimant victime de harcèlement moral peut-il être mis en œuvre en cas de poursuite disciplinaire  de l’agent supposé  harceleur ?

NON : dans un arrêt en date du 02 mars 2022, le Conseil d’Etat considère qu’il appartenait à l’administration de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties, sans mettre en œuvre, contrairement à ce que soutient l’université de Poitiers, le mécanisme probatoire particulier institué au profit des victimes d’agissements constitutifs de harcèlement moral (1).


Aux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa version applicable au litige : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (…) / Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ».

Il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, statuant sur l’un des deux griefs sur lesquels les poursuites disciplinaires engagées à l’encontre d’un maître de conférence par l’université de Poitiers étaient fondées et tiré de ce que le comportement de l’intéressé aurait été constitutif d’une situation de harcèlement moral à l’égard de trois de ses collègues, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a relevé l’apparition de tensions entre le maître de conférence et trois de ses collègues à l’occasion de l’organisation d’un congrès en 2012, dans laquelle l’intéressé avait été quasiment le seul à s’impliquer alors qu’une implication collective des quatre enseignants chercheurs avait été initialement envisagée.

Le CNESER a ensuite constaté que ces tensions s’étaient renforcées et qu’il existait un conflit entre le maître de conférence et ses trois collègues, dont témoignaient des échanges vifs et des reproches réciproques.

En déduisant de ces éléments ainsi que du contexte de travail et des usages de la profession, qu’elle a souverainement appréciés sans les dénaturer, que l’ensemble de ces faits étaient insuffisants pour caractériser l’existence d’une situation de harcèlement moral du maître de conférence à l’encontre de ses trois collègues, en dépit du caractère abrupt de l’attitude du maître de conférence, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, à qui il appartenait de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties, sans mettre en œuvre, contrairement à ce que soutient l’université de Poitiers, le mécanisme probatoire particulier institué au profit des victimes d’agissements constitutifs de harcèlement moral, n’a pas commis d’erreur de droit et a suffisamment motivé son arrêt.

SOURCE : Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 02/03/2022, 444556

JURISPRUDENCE :

S’agissant du contentieux du licenciement des salariés protégés, CE, 10 décembre 2014, Association service interentreprises de santé au travail (SIST), n° 362663, T. pp. 801-889-891 :

« (…) Il résulte des termes mêmes des dispositions de l’article L.1154-1 du code du travail que le régime particulier de preuve qu’elles prévoient au bénéfice du salarié s’estimant victime de harcèlement moral n’est pas applicable lorsque survient un litige, auquel ce dernier n’est pas partie, opposant un employeur à l’un de ses salariés auquel il est reproché d’être l’auteur de tels faits. (…) »

S’agissant des litiges opposant un agent public à son employeur, CE, Section, 11 juillet 2011, Mme Montaut, n° 321225, p. 349 (1) :

« (…) Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé. (…) »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

quatre − 1 =

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>